Le Randonneur

Le coin des livres

Les lectures recommandées par les Amis du Randonneur

Le voyage immobile

Par Jean-Yves Mounier

Septième semaine de confinement

Surplace et bicyclette


1794. Xavier de Maistre est enfermé, suite à un duel, dans sa chambre de la citadelle de Turin. J’ai entrepris et exécuté un voyage de quarante-deux jours autour de ma chambre. Les observations intéressantes que j’ai faites, et le plaisir continuel que j’ai éprouvé le long du chemin, me faisaient désirer de le rendre public ; la certitude d’être utile m’y a décidé1. Le jeune Carl Friedrich Christian Ludwig n’a que neuf ans et il lui faudra attendre 1817 pour passer à la postérité sous le nom de Drais von Sauerbronn grâce à une idée qui était de mouvoir avec les pieds un siège fixé sur deux roues, qui courent à la file2.


1884. Joris-Karl Huysmans enferme son antihéros dans un pavillon à Fontenay-aux-Roses et lui fait perdre toute conscience de la réalité extérieure. Déjà il rêvait à une thébaïde raffinée, à un désert confortable, à une arche immobile et tiède où il se réfugierait loin de l’incessant déluge de la sottise humaine3. Trois ans plus tard, une nouvelle « revue mensuelle en hiver et bi-mensuelle en été » voit le jour à Saint-Étienne, sous le titre « Le Cycliste forézien », le directeur-gérant en est un certain M. P. de Vivie4.


1944. Jean Giono, qui a beaucoup parcouru à pied, à vélo, et aussi à travers les cartes, ses chères montagnes, connait les affres de la Seconde Guerre mondiale et confie : Le voyageur immobile : où je vais personne ne va, personne n’est jamais allé, personne n’ira. J’y vais seul, le pays est vierge et il s’efface derrière mes pas. Voyage pur. Ne rencontrer les traces de personne. Le pays où les déserts sont vraiment déserts5. Au JO du 18 octobre 1944, la « nouvelle » Fédération Française de Cyclotourisme est officialisée, succédant à la Fédération Française des Sociétés de Cyclotourisme6.


Avril 2020. Le vent d’hiver souffle en avril. J’aime le silence immobile. D’une rencontre7. La moitié de l’humanité confine, au bord du précipice, aux confins de nulle part. Désirée8 se désespère, perd de l’air et se demande si, vraiment « Partir, c’est crevir un pneu9 » ?

Voyager

Dans sa première acception, le Robert – qui hésite entre être grand ou petit, entre mettre grand ou mettre petit10 – définit le voyage comme le « déplacement d’une personne qui se rend en un lieu assez éloigné ». Quant à la Rousse – qui sème à tout vent, en prenant le vent, en le sentant ou en ayant la gueule dans le vent10, à défaut de l’avoir dans le cul – elle le voit comme « l’action de voyager, de se rendre ou d’être transporté dans un autre lieu ». On le voit déjà, voyager ne met pas tout le monde d’accord, le lieu peut être autre ou assez éloigné, la constante étant de s’y rendre.

Pour quiconque a déjà fixé sur sa bicyclette un peu plus que la sacoche avant, il est clair que le voyage commence au pas de sa porte. J’embarque dans l’ascenseur mes six sacoches, puis mon vélo dressé sur sa roue arrière. Déjà, il se débat comme un insecte d’acier et m’assène un furieux coup de guidon dans l’estomac […]. Mais dès que les pneus touchent terre, il se calme aussitôt, tandis que mon rêve de môme devient enfin réalité…11

Le problème actuel est que le pas de la porte est aussi la destination finale et qu’il va être difficile, sauf à le fantasmer, d’aller voir ailleurs si les autres y sont. Certes, le voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu’il se suffit à lui-même. On croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt c’est le voyage qui vous fait, ou vous défait12.

Sous prétexte de chauve-souris ou autre pangolin, il nous faudrait donc renoncer à « la tentation de la bicyclette », Edmondo de Amicis modernes cédant devant la pression sanitaire, au risque de nuits très agitées au cours desquelles je découvrais ce délicieux dénouement de tous les liens accablants de la vie, de la liberté de l’oubli, de la domination de l’espace, de la fuite vers l’infini. Fendre l’air sans presque sentir le contact de la terre me donnait vraiment l’illusion d’être emporté au loin par deux grandes et invisibles ailes13.

Partons donc, l’imagination ne saurait être confinée et cherchons, dans le silence de nos bibliothèques et le bruit des feuilles tournées, le voyage immobile en restant conscients que chaque départ pose la question du retour et jamais le retour n’est donné. Je peux à chaque départ penser ma fin14.

L'usage du monde de Nicolas Bouvier
(suite…)

Le facteur humain

Vincent Berthelot

Préface de Claude Marthaler

Dans la rubrique « Bibliothèque » du Randonneur n° 65 de septembre 2017, je vous avais présenté Vincent Berthelot, le messager du Clepscycle, jeune retraité de l’Éducation Nationale parti sur son vélo couché à travers la France pour y distribuer des messages importants mais pas urgents. Six mille kilomètres de rencontres et de fantaisie, en toute humilité, à l’écoute des autres, à leur rencontre, sans rien imposer. Je terminais la chronique en évoquant un nouveau voyage, tout juste débuté et l’espoir d’un nouvel opus.

C’est aujourd’hui chose faite. Vincent revient avec Le facteur humain, dans lequel il reprend le texte du récit de son périple originel et lui adjoint la narration des deux suivants, établis selon le même principe de distribution de courriers manuscrits, contenant chacun une tranche de vie, des souvenirs, des douleurs, des joies, à l’image de la vie en quelque sorte.

À travers une démarche résolument à contre-courant, pas question de se presser – Vincent a parfois attendu jusqu’à trois jours pour délivrer la précieuse missive en main propre – pas question de se mettre en avant – la démarche importe plus que le messager, l’important c’est celui qui reçoit –, pas question de transformer son voyage en balade touristique dans les temples du consumérisme artificiel – Cherchons les chemins de traverse, tentons des pas de côté, ouvrons notre porte à l’improbable –, le facteur pirate affirme ses valeurs, s’interroge sur sa propre vie et la façon de la conduire et évoque avec pudeur ses déchirures, à commencer par une certaine lettre lue à l’âge de cinq ans…

La grande humanité qui se détache de ces pages et la tendresse que l’auteur porte à ses rencontres rendet la lecture de ce livre absolument indispensable, en un temps où l’individualisme et la standardisation ont valeur de loi.

2020 – 204 pages – Prix : 15 € + frais de port

Autoédition du Clepscyle.
Livre disponible sur le site de l’auteur, à la librairie Libellune de Redon (35) ou par correspondance auprès de : Christophe Buchy, Librairie Libellune, 33 Grande Rue, 35600 Redon

Le facteur humain de Vincent Berthelot

En ces temps de confinement et de temps disponible, voir également le documentaire qu’Alexandre Lachavanne – le réalisateur a accompagné le facteur dans sa troisième tournée vers la Suisse – a consacré à Vincent Berthelot pour la Radio Télévision Suisse, dans le cadre de l’émission « Passe moi les jumelles ».
Épisode 1Épisode 2
On pourra également écouter avec plaisir la chanson que le projet de Vincent a inspirée à Sanseverino et Tangomotan « Le Facteur Pirate ».

Jean-Yves MOUNIER

Paul Fabre publie

Offrandes de Paul Fabre

Les petites offrandes des grandes routes

24 septembre 2013, Paul ne le sait pas encore, mais il jouit ce jour-là de la dernière offrande d’une de ses bicyclettes chéries, elles qui, dans la dernière partie de cet ouvrage, seront le sujet d’un portrait amoureux dans lequel se retrouvera tout touriste à bicyclette ayant déjà vécu, le cul sur la selle, de si intenses moments de volupté, de souffrance, de bonheurs inattendus qui se transformeront au fil des ans en souvenir.

Tout au long de ces vingt offrandes, Paul revient, par petites touches sensibles, souvent humoristiques et toujours empreintes d’une grande humanité, sur une carrière (je suis sûr que Paul n’aime pas ce terme..) cyclotouristique riche et variée au cours de laquelle l’amitié a primé, au-delà, peut-être, de l’amour inconditionnel de la bicyclette et des plaisirs qu’elle procure.

Plaisirs comme les sourires croisés au hasard, le réconfort d’un café venu de nulle part, l’éclat des étoiles lors d’une route de nuit mais surtout, petit feu rouge de l’amitié, moqueries réciproques des compagnons de route, Port d’Aula fini à pied avec Pierre Roques.

Loin d’Eddius et son exhubérante fantaisie, loin des souvenirs du Puma de l’Aubisque, le lecteur risque de rencontrer ici, tout simplement, Paul Fabre dont la pudeur, bien dissimulée derrière sa verve légendaire, empêche d’en dire plus sur Françoise, incontestablement sa plus belle offrande.

Édité par son ami Gilbert Jaccon (dont je ne saurais trop vous inciter à lire le dernier ouvrage « Le vélo ? Ma passion !), Paul Fabre ouvre une nouvelle très belle page de la saga cyclotouristique.

2020 – 252 pages – 12 €, frais de port offerts en commandant directement auprès de Gilbert Jaccon.
Pour une commande groupée, le contacter directement : gilbertjac@orange.fr
Gilbert Jaccon Éditeur

Jean-Yves Mounier

MON TOP 5 DES RÉCITS DE VOYAGE À BICYCLETTE 2019

Cette année encore, une bonne quarantaine de récits de voyage à bicyclette ont été publiés en langue française et il n’a pas été possible de les lire tous, d’autant qu’un bon nombre d’entre eux sont parus en fin d’année, rendant ainsi impossible leur sélection dans ce Top 5 annuel.
Cependant, les cinq ouvrages présentés ci-dessous, de manière subjective et par ordre alphabétique, sauront combler le plus exigeant des lecteurs, lui apportant variété et qualité pour de très nombreuses heures de lecture en compagnie de cyclo-voyageurs soucieux de faire partager avec talent leur passion.

Jean-Yves Mounier

Paul BABLOT

Du Mékong à la Place Saint-Pierre.

408 pages, 20 €, Éditions Première Partie.

Paul Bablot a parcouru « 20 000 km à la rencontre des Chrétiens » comme le précise le sous-titre de son récit dans lequel il n’hésite pas à laisser apparaître sa foi – il évoque la Providence, il raconte son bonheur d’assister à la messe dans des lieux souvent improbables, il se place sous la protection du Christ – mais cet aspect, qui pourrait se révéler redhibitoire pour qui ne partage pas ses convictions, fait en réalité la force de ce récit authentique, riche en détails historiques et culturels, qui nous transporte avec entrain dans des pays où chaque rencontre avec une communauté chrétienne, souvent minoritaire, parfois persécutée, est l’occasion d’en apprendre plus sur le dit pays, ses habitants et, parfois, leur relation avec la religion.

Le lecteur ne partagera pas forcément l’analyse politique de l’auteur sur Israël ou le Kosovo, par exemple, mais il ressortira de cette lecture captivante plus oecuménique.. à défaut d’être converti.

Du Mékong à la place Saint-Pierre, Paul Bablot

Six ans à vélo autour du monde, Pascal Bärtschi

Pascal BÄRTSCHI

Six ans à vélo autour du monde.

292 pages, 24 €, Éditions Favre.

« One world, one bike, one dream », le slogan choisi par Pascal pour résumer sa nouvelle vie, traduit de la plus simple des manières l’orientation qu’il souhaite donner à sa vie. Rêvé pendant dix ans, ce voyage lent sur les routes du monde, voulu au départ sans limitation de temps, va transformer durablement le jeune Suisse qui nous propose ici un récit tout en simplicité, écrit avec une certaine « neutralité » propre à sa nationalité et sans doute imposée par la longueur du parcours et la nécessité de le faire entrer dans un livre de trois cents pages abondamment illustré par les photos de l’auteur.

Déjà présenté dans le Randonneur n° 72 de janvier 2020, ce récit autour du monde est appelé à devenir un classique du genre, indispensable dans toute bibliothèque d’amateur du genre.


Johan DAVID

Mon tour du monde à vélo.

192 pages. 17,90 € – Éditions Bonneton.

Format à l’italienne, texte alerte et souvent empreint d’auto-dérision, richesse photographique et qualité de la mise en page, tout est ici mis en œuvre pour rendre ce récit d’un voyage de quinze mois à travers le monde – exception faite de l’Afrique et de l’Amérique du Sud – indispensable et le ranger parmi les réussites de l’année. Les thèmes habituels de ce genre de narration sont abordés avec franchise et sans fioritures inutiles. Obtention de visas, réponses aux sollicitations quotidiennes des autochtones, charme des nuits sous la tente, rien n’échappe à la plume de Johan qui n’oublie pas non plus d’évoquer le problème des chaussettes sèches ou le supplice de manger épicé, rendant ainsi son récit singulier et personnel.

Un ouvrage hautement sympathique qui se lit d’une traite et permet de voyager à distance vers des destinations classiques mais pourtant à redécouvrir lors des longues soirées d’hiver à venir.

Mon tout du monde à vélo, Johan David

Sur les terres des frontières perdues, Kate Harris

Kate HARRIS

Sur les terres des frontières perdues.

368 pages, 22,50 €, Arthaud.

« Voyager à vélo, c’est prendre au sérieux les platitudes de la vie : la faim, la soif, l’amitié, la météo, le clapot du monde sous nos pas. »

Après avoir rêvé de Marco Polo et de voyage vers Mars, Kate découvre le voyage à vélo et sa « quotidienneté » qu’elle résume si bien dans la phrase d’introduction à ce texte. Tibet, États-Unis et surtout routes de la soie entre Turquie, pays en -stan et Chine, elle va, à travers ce récit qui articule éléments autobiographiques et impressions de la route, donner un nouveau sens à sa vie et s’apercevoir, en arrivant en Inde, que « ce n’était pas un but à atteindre, mais une excuse pour partir ». Avec son amie Mel, elle ne savait, dans sa prime jeunesse qu’aller trop loin, elle va ici aller tout simplement très loin pour s’interroger sur ce que sont les frontières, matérielles ou humaines, sur la nécessité de rester émerveillée, sur le besoin impératif d’une vie pleine de défauts.

Un très beau témoignage à déguster goulûment, comme une existence dévorée à pleines dents.


Emmanuel RUBEN

Sur la route du Danube.

608 pages, 23 €, Payot.

Remonter le cours du fleuve comme on remonte le cours de l’Histoire ; aller à rebours pour mieux appréhender la source, celle du fleuve mais aussi, et surtout, celle de l’identité européenne. Comprendre comment l’Est, pourtant peu considéré dans l’histoire officielle du Vieux Continent, fait partie intégrante des racines européennes et l’a enrichi au fil des siècles. Le projet d’Emmanuel Ruben est vaste, ambitieux, original et de sa pédalée le long du fleuve mythique, il va rapporter ce texte dense et extrêmement documenté qui demandera certes un effort de la part du lecteur mais qui lui procurera ensuite d’indicibles joies.

Présenté dans le Randonneur n° 71 de septembre 2019, cet « objet hybride entre le roman-fleuve, le manuel d’évasion – sorte d’usage de l’Europe à bicyclette – et l’atlas géopoétique » restera longtemps dans la mémoire de quiconque aura osé y plonger.

Sur la route du Danube, Emmanuel Ruben

La bibliothèque du Randonneur

Bibliothèque du Randonneur


Dans la bibliothèque du Randonneur n° 72 de janvier 2020, vous pourrez découvrir :

  • Collectif, The Rough-Stuff Fellowship archive ; une extraordinaire collection de photographies qui montrent que les tendances actuelles, « gravel » et autre « bikepacking » ne datent pas d’hier et qu’au-delà des modes, une pratique simple et dépouillée du tourisme à bicyclette a toujours existé et perdurera, à l’image de la philosophie développée au sein des Amis du Randonneur.
  • Pascal Bärtschi, Six ans à vélo autour du monde ; raconter six ans de voyage et plus de cent mille kilomètres dans un seul ouvrage de trois cents pages, voilà la gageure réussie par Pascal qui nous emporte avec lui en toute simplicité sur les routes du monde, dans la grande tradition des récits de voyages autour du monde, qui posent des questions sans y apporter de réponses formelles.
  • Gérard Bastide, Le Voyageur est un menteur ; vous pensiez que tout avait été écrit sur le voyage à vélo et sur sa narration ? Détrompez-vous, Gérard Bastide s’empare, avec sa fantaisie et sa causticité habituelle, du sujet et le passe au tamis de son imagination et de sa créativité pour nous livrer un récit hors normes, décapant et réjouissant au possible.
  • Patrick et Véronique Sinsard, Petite reine & grands romans ; lire et pédaler, deux activités chères aux lecteurs du Randonneur, activités partagées par les auteurs de ce guide original qui conduit ses lecteurs sur les traces de grands romans français, en les invitant à les redécouvrir sur les routes mêmes de leur action.

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Jean-Yves MOUNIER

Les premiers récits cyclistes : L’inévitable épopée

Par Paul Fabre

La nouveauté engendre souvent l’enthousiasme, et l’enthousiasme façonne vite l’expression. C’est sans doute pour cela que les récits des débuts d’une pratique, quelle qu’elle soit, prennent aisément des accents épiques ; des premiers comptes rendus des courses cyclistes aux premières relations de voyages à bicyclette, le vélo n’échappe pas à cette tendance, à cette constante : le glissement vers l’épopée. Au demeurant, on remarquera que l’exploit sportif, fût-il hors du domaine du cyclisme, se prête facilement au chant épique : il suffit, pour s’en assurer, d’écouter le ton enflammé des commentateurs et leur lexique de l’hyperbole (on résumera cela par le désormais célèbre gooooaaaal ! des reporters brésiliens du football). Ainsi le ton de l’épopée est-il naturellement le ton que prennent souvent les auteurs de voyages bien réels : par là, ce réel se transforme vite en légende, la légende qui est en fait le roman épique du vrai ; et si on exprime la vérité en roman, c’est pour la marquer avec force, pour mieux la revivre, pour la rendre plus sensible : on oublie facilement une anecdote, on n’oublie pas une épopée !

Je prends le mot épopée dans son acception traditionnelle et simplifiée : un récit où le merveilleux se mêle au vrai, où la légende se mêle à l’histoire, et dont le but est de célébrer un héros ou le groupe fondateur d’un peuple ; et, plus familièrement : un récit qui relate des événements réels de façon à les sublimer par les moyens divers qu’offre l’expression. C’est ce que font les premiers récits cyclistes, parmi lesquels les trois que j’ai choisis pour illustrer mon propos.

*

Considérons d’abord les titres des trois ouvrages retenus.

Alcide Bouzigues, Du 25 juillet au 2 août 1891. Voyage fantastique en bicyclette de Paris à Lannemezan (Paris, chez l’auteur, 1896 ; réédition Saint-Germain-des-Prés, Artisans – Voyageurs, 2009 ; préface d’Henri Bosc) ; Édouard de Perrodil, Vélo ! Toro ! Paris-Madrid à bicyclette 1893 (Paris, Flammarion, 1894 ; réédition Toulouse, Le Pas d’oiseau, 2006 ; présentation de Nicolas Martin ; illustrations originales d’Henri Farman) ; Docteur Ruffier, Voyage à bicyclette. De Paris à la Méditerranée par le Jura et les Alpes (Paris, éditions Physis, 1928).

On remarquera que malgré la simplicité du mot voyage qui se trouve dans deux des trois titres, l’accent vers l’épopée est exprimé ou, du moins, suggéré. Alcide Bouzigues annonce clairement la couleur avec l’adjectif fantastique : « fabuleux, mythique, surnaturel », si l’on en croit les dictionnaires ; l’énonciation temporelle (du 25 juillet au 2 août) fonctionne comme un soulignement de l’exploit. Édouard de Perrodil, de son côté, joue sur l’exotisme et l’exclamation, sur le lien entre Espagne et corrida : Vélo ! Toro ! Le docteur Ruffier paraît plus objectif, moins épique, mais il n’en souligne pas moins le caractère remarquable du voyage par l’ajout d’une précision géographique : où les deux titres précédents se contentaient de donner les points de départ et d’arrivée (Paris à Lannemezan, Paris-Madrid), celui de Ruffier apporte sa note d’exception par l’affirmation d’un itinéraire qui n’est pas forcément le plus court ni le plus facile : par le Jura et les Alpes.

Ainsi les titres donnent-ils le ton. Ce sont des marqueurs initiaux, des signaux qui annoncent la couleur du récit à venir (ils font penser au fameux click de Léo Spitzer, cet élément formel d’un texte vers lequel tout le texte convergerait nécessairement). Bien entendu, cette couleur du récit va différer d’un auteur à l’autre. Ces auteurs sont (et ont) des personnalités différentes, ils ont des professions distinctes : de Perrodil est journaliste, Bouzigues est pharmacien, Ruffier est médecin. Bien qu’ils partent tous les trois de Paris, leurs parcours sont différents, et celui de Ruffier est effectué trente-cinq ans après le premier. Bouzigues et Ruffier sont des solitaires, de Perrodil est accompagné de Farman et il sera soutenu tout au long de son raid par de nombreux compagnons ; les deux premiers roulent presque en cachette, alors que le troisième est annoncé par la presse et reçu officiellement ici et là : il est vu, avec ses compagnons, comme « los que vienen de París » ou encore comme « les diables qui viennent de Paris ».

Ces différences se feront jour dans le récit. Bouzigues accordera une grande place aux évocations poétiques et aux descriptions de la nature ; Ruffier prend le visage d’un militant qui en veut aux aubergistes, aux syndicats d’initiative, au tourisme mal compris. De Perrodil ne pense guère qu’à la route en elle-même et sous toutes les formes qu’elle peut prendre ; sa phrase est rapide, il accorde beaucoup de place aux dialogues. Au contraire, la phrase de Bouzigues est ample, souvent poétique ; celle de Ruffier est plus prosaïque, elle se penche sur des problèmes d’écologie (le barrage sur l’Agly, les devoirs du progrès : « Une usine doit des compensations à la région qu’elle enlaidit », p. 96), sur des questions de restauration (les mets frelatés, dont il est souvent question !), de technique vélocipédique (les développements, la cadence de pédalage).

Alcide Bouzigues, Du 25 juillet au 2 août 1891. Voyage fantastique en bicyclette de Paris à Lannemezan
Alcide Bouzigues, Voyage fantastique en bicyclette de Paris à Lannemezan
(suite…)

Un touriste & autres textes

Récits d’excursions à bicyclette 1899 – 1906

Adolphe d’Espinassous

Après avoir exhumé en 2018 « Vers la Méditérannée » de Paul de Vivie, alias Vélocio, présenté dans le numéro 70 de mai 2019 du Randonneur , Laurent Vigniel propose dans cette nouvelle publication les récits d’un touriste à bicyclette bien moins connu mais conteur de qualité et pratiquant assidu : Adolphe d’Espinassous.
Une courte biographie introductive permet d’en apprendre plus sur le personnage, né en 1851 et mort en 1942, pratiquant un tourisme itinérant à bicyclette avec des distances de 120 km par jour en moyenne, bien connu de Vélocio avec lequel il ne fut pas toujours en excellent terme. La contribution de d’Espinassous au Cycliste s’est en effet interrompu périodiquement, au gré des humeurs de ces deux caractères bien trempés.
Rassemblant des textes parus dans la Revue du Touring-Club de France et dans le Cycliste, parfois conjointement, cette compilation, fort bienvenue, nous replonge dans ces années où la discussion tournait autour des équipements de la bicyclette, polymultiplication, freinage, éclairage, où les pratiquants vantaient, ou non, les bienfaits du végétarisme, où les récits d’excursion vantaient souvent avec excès les mêmes sites touristiques… bref des préoccupations pas si éloignées de celles de nos contemporains !
Complété par des photographies d’époque et le profil des pentes de H. Dolin, ce livre constitue un document exceptionnel à lire absolument.

2019 – 432 pages – Prix : 20,90 €

Auto-édition disponible via Vélotextes, le site de Laurent Vigniel

Un touriste & autres textes

Jean-Yves MOUNIER

Paul Fabre publie

La Cançon de la Crosada de l'anonyme

La Cançon de la Crosada de l’Anonyme

Pour tout Occitan, La Cançon de la Crosada devrait être un livre de chevet; pour tout Français, elle devrait être, au moins, un livre d’histoire. C’est pour cela que notre ami Paul FABRE a décidé d’en faire une nouvelle présentation pour rendre cette œuvre aussi aisément accessible qu’il est possible : mise en graphie moderne du texte médiéval, traduction aussi proche que possible de l’original, lexique nécessaire pour le lecteur susceptible d’approcher ou de lire l’ancienne langue, notes réduites à l’essentiel.

Le tome I donnait le texte de Guillaume de Tulède, qui raconte les événements qui ont martyrisé l’Occitanie entre 1208 et 1213, du meurtre du légat du pape Pierre de Castelnau aux préparatifs de l’entrée en guerre de Pierre II d’Aragon, en passant par le sac de Béziers, les sièges de Lavaur, de Minerve et de Termes, et l’avancée des croisés à travers tout le Languedoc. Il est toujours disponible chez Gilbert JACCON.

Le tome II, à paraître en novembre 2019, donne la première partie du texte de l’Anonyme qui a pris la suite de Guillaume de Tulède ; ce volume narre les événements qui vont de 1213 à 1217 (entrée de Raimond VI à Toulouse) : le siège de Pujol, la bataille de Muret, le concile de Latran, l’arrivée du futur Raimond VII en Provence, le siège de Beaucaire, les représailles de Simon de Montfort contre Toulouse, le soulèvement des habitants et la mort du chef de la Croisade (un tome III donnera la suite de la Chanson de l’Anonyme jusqu’à la fin).

L’un et l’autre volume sont disponibles chez Gilbert JACCON Éditeur (18, ruelle Berthet, 21200 Beaune, ou sur son site www.gilbertjac.com), chacun au prix de 16 euros.

La bibliothèque du Randonneur

Bibliothèque du Randonneur


Dans la bibliothèque du Randonneur n° 71 de septembre 2019, vous pourrez découvrir :

  • Guillaume MARTIN, Socrate à vélo ; quand un coureur cycliste professionnel, par ailleurs diplômé de philosophe, met en scène ses maîtres à penser et les convie à participer au Tour de France, cela donne un récit savoureux, fantaisiste et jubilatoire, sans qu’il ne soit nécessaire d’être spécialiste pour en apprécier la teneur.

  • Franck TURLAN, Sur la route des Balkans ; un voyage à vélo dans des contrées qui restent fortement marquées par les guerres mais dans lesquelles l’auteur va trouver la part d’humanité qui motive son périple, par temps de paix. Une belle réflexion sur l’Europe et l’Histoire et un témoignage authentique et sensible.

  • Collectif, Partir à vélo ; le témoignage de quatorze cyclo-voyageurs qui partagent avec ferveur et talent leurs aventures à bicyclette et incitent à partir, un peu, beaucoup, passionnement ! Des conseils, des illustrations d’Aurélia Brivet, idéal pour préparer ses futurs voyages et aller plus loin dans la lecture de récits de voyage à vélo.

  • Emmanuel RUBEN, Sur la route du Danube ; une extraordinaire odyssée le long du Danube en remontant vers sa source pour évoquer l’histoire européenne, pour comprendre le rôle de l’Orient dans la construction historique et culturelle du Vieux Continent, un récit hors normes dont la richesse littéraire et humaine imprégnera longtemps le lecteur.

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Jean-Yves MOUNIER

Raymond Henry publie

Charles Antonin, cyclotouriste aux multiples facettes

Après nous avoir éclairé pendant 974 pages sur l’histoire du cyclotourisme entre 1865 et 2016 (cf Le Randonneur n° 67 d’avril 2018), Raymond nous livre aujourd’hui la biographie de celui qui fut président de la Fédération française de cyclotourisme de l’après-guerre, photographe émérite et cyclotouriste pratiquant et convaincu.

Comme l’indique le titre de cet ouvrage, la personnalité de Charles Antonin, ainsi que son action au sein du mouvement cyclotouristique, méritait bien une étude approfondie pour que chacun, selon le vœu de Raymond Henry, puisse se faire une idée précise sur le personnage, parfois controversé mais longtemps honoré à travers le prix photo-littéraire de la FFV, récemment devenu prix Pierre Roques..

S’appuyant sur des documents d’époque et notamment une riche correspondance patiemment recueilli par l’auteur, abondamment illustrée, en particulier des photos même de Charles Antonin, cette étude captivera les amateurs d’histoire cylotouristique, amateurs qui ne manqueront pas de remarquer quelques similitudes entre cette période troublée d’après-guerre et celle actuelle, au cours de laquelle le mouvement cyclotouriste fédéral semble de nouveau en quête d’identité.

Charles Antonin, cyclotouriste aux multiples facettes

2019 – 96 pages – 15 € + frais de port

Édité par la Fédération française de cyclotourisme

Charles Antonin

Jean-Yves MOUNIER

La bibliothèque du Randonneur

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Dans la bibliothèque du Randonneur n° 70 de mai 2019, vous pourrez découvrir :

  • Gérald WAIRY, La France en diagonale ; quand un engin destiné aux salles de sport devient un moyen de locomotion apte à découvrir la France profonde, de Menton à Rospoder. Une manière originale de voyager, en vélo-stepper muni d’une remorque, et un récit délicat au plus près de notre pays.

  • Yves CHALOIN, Nectar de voyage ; sept voyages à vélo à travers le monde résumés dans un carnet graphique qui va à l’essentiel pour extraire la substantifique moëlle du voyage. Humour et second degré sont convoqués dans ces pages qui se lisent avec gourmandise et donnent envie d’en apprendre plus sur l’auteur et sa compagne, elle aussi grande voyageuse.

  • Paul DE VIVIE, Vers la Méditerranée ; la mise à disposition du plus grand nombre d’un récit de voyage de Vélocio est à saluer, particulièrement quand ce texte est de qualité et permet d’en apprendre plus sur l’Apôtre du cyclotourisme. Souhaitons que cette initiative de Laurent Vigniel soit suivie de nombreuses autres !

  • Vincent Hanrion, Cinécyclo Tour Sénégal ; pédaler sur un vélo cargo muni d’une lourde caisse de 35 kg contenant tout le matériel de projection et de production d’électricité ; partir dans les villages les plus improbables du pays et offrir aux habitants un spectacle unique au cours duquel il leur faudra pédaler. Une initiative généreuse et enrichissante qui ne néglige pas la réflexion sur l’aide humanitaire et l’investissement des populations.


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Jean-Yves MOUNIER

Paul Fabre publie

La Cançon de la Crosada

La Cançon de la Crosada
de Guillaume de Tudèle
(Texte, traduction et notes)

de Paul Fabre

La Chanson de la Croisade albigeoise de Guillaume de Tudèle raconte en 131 laisses et 2772 vers les événements qui ont martyrisé l’Occitanie entre 1208 et 1213, du meurtre du légat du pape Pierre de Castelnau aux préparatifs de l’entrée en guerre de Pierre II d’Aragon, en passant par le sac de Béziers, les sièges de Lavaur, de Minerve et de Termes, et l’avancée des croisés à travers tout le Languedoc.

Le texte médiéval du poème a été transcrit par Paul FABRE en graphie occitane moderne, celle de l’Institut d’Études occitanes. Ce travail difficile permettra sans doute aux occitanophones de reconnaître en partie leur propre langue dans le texte ancien (les notes permettront d’aider cette reconnaissance). Le lecteur français découvrira une langue, pour lui sans doute inconnue, mais qui fut en son temps la première langue d’Europe.

Pour qui lira la Chanson de la Croisade albigeoise, Béziers et Lavaur ne pourront plus être seulement des noms de villes, la Madeleine et Termes ne pourront plus être seulement les noms d’une église et d’un château, et les comtes de Toulouse ne pourront plus être de simples noms de seigneurs. Impossible, quels que soient ses atermoiements et ses erreurs, de faire de Raimond VI un quelconque bon roi Dagobert, impossible de faire coïncider Simon de Montfort avec le comte conquérant de nos livres d’histoire…

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Paul FABRE, est agrégé de l’Université, docteur ès-Lettres, et professeur émérite de l’Université Paul Valéry. Il a été vice-président de l’Institut d’Études occitanes, président du Centre d’Études occitanes de Montpellier III, et pendant dix-neuf ans rédacteur de la Revue des Langues romanes. Secrétaire général de Défense et Promotion des langues de France sous la présidence d’André Chamson, il a fait partie de la Commission ministérielle mixte pour l’enseignement des langues régionales. Il a publié dix ouvrages qui intéressent l’occitan et l’Occitanie dans des domaines différents : littérature médiévale, poésie, toponymie, roman, fables…

Il publie ici le onzième, une édition de la Chanson de la Croisade albigeoise de Guillaume de Tudèle, grâce à Gilbert Jaccon, qu’on ne remerciera jamais assez pour avoir accepté cette aventure éditoriale et mené à bien cette entreprise. Ce travail est pour son auteur le remboursement d’une partie de la dette qu’il a envers son pays, le Languedoc.

La Cançon de la Crosada de Guillaume de Tudèle
2019 – 290 pages (2 cartes) – 16 € (deux euros sont prélevés sur chaque exemplaire vendu et sont intégralement reversés aux restaurants du cœur).

Commander à Gilbert Jaccon.